STABle
Etant petit, s'il y a bien une chose que je détestais par dessus tout, c'était être mis à l'écart. Je détestais rester sur le carreau, ne pas être concerné par tout et n'importe quoi. J'étais jaloux.
Que ce soit les frères aînés ou les grands cousins, il y avait toujours un groupe de plus grands qui décide des règles du jeu à la con auquel jouent tous les enfants de la famille à nouveau réunie. Le jeu où les petits vont perdre sans étonnement, et ce malgré une supériorité numérique effarante. Je n'ai jamais fait parti des grands, jamais.
Mais ce qui me rendait le plus malheureux, c'était être séparé des vrais grands. Les vrais grands qui boivent du vrai vin, qui racontent des choses vraiment drôles mais qui peuvent aussi dire des choses vraiment sérieuses. Les parents, les oncles, les tantes, les grand-parents. Eux. Ceux qui sont assis à l'avant dans la voiture lors du trajet pour se rendre dans cette maison de campagne où les trois quarts de la famille ont été conviés -on ne sait jamais trop pour quelle raison officieusement officielle d'ailleurs- en excluant plus ou moins volontairement le quart restant composé de lourds et de reniés. Evidemment il y en avait toujours un qui manquait à l'appel, qui n'avait pas pu se libérer ou qui avait secrètement mieux à faire comme par exemple aller choisir un nouveau tissu pour les rideaux que sa femme, détestée par la famille -ce qui explique pourquoi il ne veut pas donner la raison officielle- veut changer.
Bizarrement, mes parents ne manquaient jamais à l'appel. Et déjà à ce moment là je me questionnais sur ce que pouvaient ressentir les absents. De la jalousie ? De la haine ? Avaient ils les boules d'être mis à l'écart comme moi je l'étais ? Alors je me sentais fort par rapport à ceux la. Car moi j'étais là, et pas eux, et toc.
Et puis il y avait les tables pour le repas. Peu importe le nombre de tables pour les grands, il y avait toujours une table "pour les petits". Une table à l'écart, avec du soda remplaçant le rouge et du ketchup remplaçant la harissa. On y pouvait rien, c'était comme ça. Et les quelques aller et retour sur les genoux des parents n'y pouvaient rien non plus. Quand les grands sont ensembles, leurs petits ne sont que des petits jouant avec d'autres petits, surveillés par l'oeil général de tous les parents présents, et que l'on rappelle à l'ordre de temps en temps en criant un bon coup parce qu'il fallait quand même être sacrément con pour avoir eu l'idée de monter le front "anti utilisation des couverts pour manger la purée".
Moi je préférais être avec les grands. Essayer de suivre plusieurs discussions en même temps quand je les comprenais. Essayer de comprendre le reste du temps. En fait, j'aurais préféré être grand. Mais je ne l'étais pas, donc mes capacités intellectuelles limitées me laissaient tout de même régulièrement vaquer dans l'insouciance aux mêmes occupations que les petits de mon âge, je n'étais pas complètement taré non plus.
Et puis j'ai grandi. Le collège, le lycée, la fac. Ayant pourtant plus d'une vingtaine d'année d'existence à mon actif, je gardais toujours ce léger décalage avec les adultes, je ne me sentais toujours pas comme eux, parmi eux.
Et puis quand les choses se sont améliorées, que la vie et la confiance en soi s'est stabilisée, j'ai été poignardé. Droit dans le coeur, dans le ventricule de la culpabilité. Une culpabilité harassante qui nous a brisé, moi et la passagère de la moto que je conduisais.
Elle, est assise dans un fauteuil depuis bientôt deux ans. Elle est grande maintenant, sa vie à une grande valeur, la plus grande qui soit.
Dieu, aide la.
Moi aussi j'ai grandi, j'ai beaucoup grandi. Mais je suis toujours assis à la table des petits.
Maman, aide moi.
tu es fort faible, mon cher
Quand tout va bien, ma faiblesse est une force. Un prétexte pour envoyer balader tout ce qui aurait pu m'atteindre en temps normal, avant.
Quand tout va mal, ma force est une faiblesse. Un prétexte pour aller encore plus mal, pour pleurer, comme avant.
C'est aberrant.
écrit en mai 2009, le 7
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tapons les petits pas
ça c'est du titre. ouer.
bon y a un problème, un vrai. les choses stagnent comme jamais elles ont stagnées.
c'est ma faute je le sens. je stagne donc nathalie stagne. on a toujours avancé ensemble jusqu'à maintenant, l'explication vient donc forcément de là.
je n'ai plus aucune recherche du progrès. je me contente de l'à peu près semblant de bonheur que j'ai crée par l'ironie, l'insolence. mais si en fait ça ne suffisait pas ? et si en fait, attendre sans rien faire revenait à pourrir à petit feu, à petits pas. tu sais, les même pas qui t'entrainaient avant, qui te menaient chaque mois, chaque semaine à "une nouvelle étape". souviens toi, t'écrivais régulièrement "les choses ont bien changées". ça concernait thalie et ses progrès évidemment, mais ça concernait aussi tes tripes, tes larmes.
ça fait au moins 6 mois que rien n'a changé, que t'as retrouvé un rythme de croisière digne d'un étudiant de fac à coup de pétards et de bières. l'amusement n'est pas mauvais en soi, au contraire, thalie savait mieux s'amuser que toi. mais l'amusement hors contexte est mauvais, très mauvais. l'amusement dans l'oubli. l'amusement sans quête d'irréprochable. souviens t'en, l'irréprochable, à quel point c'était ton fer de lance.
continue à creuser, redeviens ce chercheur, recommence les plongeons intérieurs, là, au creux de tes émois. et toi, et moi, on y arrivera.
écrit en mai 2009, le 3
tagged: réalité
quand dira t-on
Aïe aïe aïe, me revoilà. On dira ce qu'on veut, mais quand je me retrouve à écrire ici, à cracher ma vie au monde entier sans être lu, c'est que ça va pas fort. J'espère secrètement que Marion tombe ici par hasard, qu'elle lise tout, qu'elle sache tout. Marion, toujours Marion.
J'ai envie de fuir. Et c'est la première fois que j'ose le penser haut et fort. Je ne veux pas refaire ma vie, je n'y arriverais de toute façon pas. Mais je ne veux plus ça, ces week-end passés dans cette famille d'inconnus gueulards, avec cette Nathalie malade que je connais trop bien. "Elle est comme avant dans sa tête", qu'ils me disent. Je n'en sais rien, je ne l'ai connu que deux mois avant l'accident, et savoir ça est une souffrance chaque jour.
Je ne peux pas être satisfait d'une situation où je ne m'épanouis plus. Ca n'a pas toujours été le cas évidemment. Tout ça a longtemps été une raison d'être au jour le jour, mais surtout une raison d'agir, de les suivre, ou plutôt de la suivre, elle, Nathalie, sans réfléchir. La culpabilité m'a assommé comme on assomme un cheval, j'étais incapable de critiquer la situation, d'aller à contre sens. Incapable de ressentir le bien être sans me défaire de cette culpabilité de par une présence constante, un rachat. Mon bien être était le sien, le leur.
Ca y est, j'ai la tête froide et le cœur abîmé, c'est aussi simple que ça. Je ne sais pas si je guérirai de cette souffrance un jour, si la vu de telle ou telle photo ne me prendra plus les tripes pour en faire un triple nœud. J'ai mal constamment à cause de cette histoire, tout ce poids que je traine comme un boulet dans mes actions, dans mes pensées. Je suis encore capable de me mettre à pleurer n'importe où, n'importe quand. Je suis enchaîné, coincé. J'agonise. Et quand on agonise, on a besoin d'air.
Forcément de telles pensées sont dures à assumer face à quelqu'un qui est en fauteuil roulant depuis maintenant presque deux ans. Mais je me suis trop retenu d'être heureux, j'ai trop pris sur moi. Il faut que ça sorte, que les entrailles de mes entrailles sortent.
J'aime Marion. J'ai envie d'elle parce qu'elle est magnifique. Je me sens même coupable parfois que ce soit aussi simple, aussi cliché. Alors je me rassure en me disant qu'elle me soutient depuis le début, que c'est la seule qui soit vraiment là pour moi, jour et nuit. Et que c'est ça qui m'a rendu accroc à cette boule de nerf au mode de vie totalement différent du mien, que je n'aurais surement pas du tout apprécié sans l'accident. Mais dont ce sont les bras m'entourant qui restent l'endroit du monde où je suis le plus heureux aujourd'hui, aussi rares soient ils. Je la hais car elle ne sait pas plus que moi ce qu'elle fait sur cette conne de planète. Ce qui finalement, me rend encore plus accroc. Comme si son rapport à la vie donnait un sens au mien, comme deux pièces qui s'emboitent. Comme si la légitimité de tout ce que je ressens venait de là, de tout ce non-sens.
Me voilà donc accroc à une autre, sans honte. Parce que depuis les tout début, avec elle "j'ai le droit". Ca a commencé par la cigarette quand je m'interdisais de fumer, et puis l'alcool que je m'interdisais par peur d'oublier Nathalie dans l'ivresse. Et puis les rires que je n'avais pas, que je ne provoquais pas chez les autres. Marion a tout relancé, c'est elle la responsable, qui me poussait même parfois vers d'autres filles. Voilà où j'en suis... désormais c'est elle que je veux.
Qu'en dira t-on, dans dix ans ? La réponse à cette question m'effraie.
émoi dans tout ça ?
un an et demi ont passé
depuis mon dernier mot dans cet édito.
"les choses ont
bien changé
ha ça oui"
aurais-je pu dire
s'il n'y avait pas eu cet accident.
je relis ce que j'écrivais alors,
je vois que rien n'a changé,
que j'ai toujours été perdu
dans la chose qu'on appelle cerveau
et qui est sensée nous rendre intelligent.
et pourtant je me sens si con
de ne pas réussir à COMPRENDRE
ce que le monde attend de MOI
pour guérir nathalie.
je crois que ce fichier est un indice important,
peut être même le numéro un,
la pièce à conviction.
il va falloir poser tout à plat,
reprendre les réflexions de zéro,
manier et remanier encore toutes ces idées
pour arriver à ne plus pleurer,
et juste avancer.
mon dieu nathalie, je ne te connaissais même pas
et pourtant ce fichier parle de toi
je voudrais pouvoir dire au "moi" qui a écrit ce petit édito de sa vie,
de notre vie,
que meilleure idée il n'a jamais eu.
mon petit moi,
mon grand moi,
vous et moi, c'est pour la vie.
écris.
écrit en février 2009, le 2
tagged: réalité
Marion
Marion c'est ce genre de femme qu'on a dans notre entourage avec qui on parle de sexe comme de cuisine. Une femme non pas bisexuelle, mais hétéro et lesbienne en même temps, c'est là toute la nuance. La femme rayonnante, belle au naturel, de grands yeux, de belles formes.
Le genre de femme tellement libre et pourtant si coincée dans des problèmes de cœur qu'elle ressent malgré elle. Une femme avec qui on pense qu'on couchera un jour, surement, peut être plusieurs fois même, ou peut être jamais. Peut être qu'elle s'en fout, alors que nous non, on voudrait la prendre dans nos bras constamment. En fait on sait pas. On sait juste que son sourire nous insuffle la sensation d'avoir trouvé un sens à la vie.
Encore, encore.
à l'aise sur ton matelas
J'aime plus que jamais le danger, les imprévus, la confrontation face à face. Jamais de ma vie je n'ai autant eu envie que l'on me voit, que l'on me regarde.
Je veux contrôler mon esprit, mes émotions. Je ne veux rien laisser paraître, que l'on ne puisse pas me sonder en un regard. Je veux que rien ne m'effraie, que tout soit fait dans la confiance la plus totale. Je veux être à l'aise, où que ce soit, avec qui que ce soit.
Et je sais pourquoi.
Car je n'aime plus être surpris. Je n'aime plus le stress qui te tord les boyaux ni le pouls des artères qui s'accélèrent face à une angoisse. Je déteste cette montée d'adrénaline qui vient des entrailles sans crier gare. Car tout ceci signifie être vivant de l'intérieur ; et je voudrais être mort. Ou plutôt endormi, dans un profond coma réparateur. Alors je me réveillerais, et toute cette mascarade prendrait fin.
Nathalie serait là, en pleine forme.
écrit en octobre 2008, le 8
tagged: réalité
j'y arriverai
Le regard des autres. Tel a été le sujet d'une conversation ce soir, au milieu du repas à cette table de restaurant.
Une tête se tourne, les yeux se lèvent, un oeil se gratte ou bien une bouche s'entrouvre pour simuler un baillement. Autant d'artifices permettant aux gens de détourner le regard lorsque la gène est trop pesante. Certaines personnes sont plus aptes a déceler ces signes, on parle même parfois de sixième sens quand ce ne sont plus les signes extérieurs qui sont compris, mais bel et bien ceux qui sont enfouis au fond à l'intérieur, apparemment invisibles et pourtant bien présent dans l'attitude, les mouvements.
Je me suis projeté en Nathalie depuis le jour où nos vies ont basculé. Je vis ça avec elle, pleinement. Je l'aime et nous ne faisons qu'un car je ne vois pas sa différence quand je suis dans ses bras. Mais je crois comprendre maintenant la source de tous mes tourments actuels : le regard des autres. Quand ils regardent Nathalie, je me sens regardé aussi. Quand la gène les empare et qu'ils détournent le regard, ils attaquent Nathalie à cause de sa différence. Ils lui disent "je n'ose pas te regarder, j'ai peur de te blesser, je ne suis pas capable de supprimer nos différences, je ne t'aime pas". La compagnie de Nathalie me donne cette force surhumaine de n'être même pas atteint par ces attaques. Mais quand je suis seul à croiser les gens, c'est une toute autre histoire.
Je vis ce que vit Nathalie, par le lien incassable de l'amour que j'ai pour elle.
En rapport avec la tolérance dont j'ai déjà exploré les recoins, le regard des autres vient compléter la compréhension que j'ai de mon mal être constant. J'ai peur du regard des autres, car j'ai peur qu'ils ne voient en moi que des différences.
J'ai répandu cette peur jusque dans les miroirs, quand ce n'est personne d'autre que moi que je vois. Je me regarde, sous tous les angles, je m'examine, et je vois des différences. Ou plus exactement, je vois les différences que les gens pourraient voir. Et ça me hante.
Si je devais faire un bref bilan objectif, je constaterais que quelques mots suffisent à ouvrir de nouveaux tourments. Parfois en ressort un simple chemin, une simple allée voire un grand fleuve où il suffit de flotter pour avancer. Mais parfois c'est un mur de béton auquel je fais face. Un mur que je veux à longueur de journée réussir à abattre seul comme les dizaines qui sont déjà derrière moi.
Où en suis-je de mon chemin ?
écrit en octobre 2008, le 2
tagged: réalité
et si c'était vrai ?
J'ai ouvert UN putain de livre au hasard. J'ai lu UNE putain de page au hasard : "Vous êtes tombé amoureux d'une femme qui est dans le coma ? C'est ça votre histoire ?".
BRAVO Marc Lévy, toi t'es un bon.
écrit en septembre 2008, le 13
tagged: réalité
tolère toi, tolère toi
J'ai analysé mes pensées, j'ai fouillé dans mes tripes, j'ai compris ce qui m'animait.
La tolérance.
Voilà mon problème, je suis tolérant, trop tolérant. Avec tout le monde. Les gens qui m'entourent, ceux qui me repoussent, ceux que je croise dans la rue. J'ai une tolérance accrue par une admiration sans limites de l'humain.
Cette personne là, que je connais pas, que je connaitrai jamais, et avec qui j'échange la moitié d'un regard sans signification, je l'admire pour son existence. Peu importe son age, ses passions, ses convictions, elle est là. Elle a survécue jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à ce que je la croise ici dans cette rue. Elle traine derrière elle un vécu qui m'est inconnu, mais que je voudrais tellement connaître. Quels sont ses tourments, ses fiertés, ses démons, ses raisons d'avancer, ici, pas après pas et dans cette direction précise.
C'est pour ça que je suis mal, constamment. J'admire tout le monde, je les place tous au dessus de moi dans ma hiérarchie imaginaire, et ce même pour les dépravés apparents, les clochards, les délinquants, les cons et les aigris. Parce qu'ils sont ce qu'ils sont. Je suis tout en bas, tout petit, parce que je ne sais pas qui je suis.
La seule idée qu'ils ne soient pas aussi tolérants me hante, me tourmente, m'assomme. Je base tout sur le regard et la façon de parler, c'est la seule façon pour moi de ne pas avoir honte de mon vécu, de masquer mon âme en ruines.
écrit en septembre 2008, le 13
tagged: réalité
Reviens vite
C'est maladif putain, ces connes de larmes qui reviennent. Il y a celles de délire, presque quotidiennes, dont je ne me soucis que très peu et que j'explique par une hypersensibilité acquise et indécrottable.
Et il y a celles de déprime qui me ramènent au commencement, là où tout est à bâtir sur un terrain en jachère. Plus d'un an putain, plus d'un an à pleurer comme ça. J'en peux plus. Je veux me détendre, je veux être sur de moi, je veux être fort et fiable. Rendez moi admirable, pitié, rendez moi admirable.
J'ai connu mieux quand même, putain j'étais mieux avant hein... et toi Nathalie, comment te sentais tu avant ? Avais tu seulement ces remises en cause ? Tu dégageais tout sauf de la faiblesse ou de la fragilité. J'en suis sur maintenant, je ne t'arrive pas à la cheville. Pardonne moi. Pardonne moi tout ça, pardonne moi d'avoir été nul, et de continuer à l'être. Rien de m'enlèvera cette sale estime de moi. Sauf peut être toi, qui sait.
Je me laisse parfois aller à l'idée que tout ceci n'est qu'un rêve. Que je suis profondément endormi, immobile, entouré d'un coma préservateur et serein. Je me réveille alors, faible, très faible. Nathalie est là, à mon chevet, en bonne santé. Alors je pleure. De bonheur.
écrit en septembre 2008, le 9
tagged: nathalie
15 days left
"Heureusement que vous avez ce grand jeune homme pour vous protéger de la vie.", qu'elle a dit.
"Faut que tu sois bien", que tu m'as dis.
Et cette chanson, et cette putain de chanson me fait sentir comme le plus ignoble déchet de cette planète. Je n'ose même pas écouter ta voix sur ton répondeur. Mais pourquoi putain, pourquoi étais tu aussi géniale. Mais pourquoi putain, pourquoi faut il que les crises d'angoisse me ramènent toujours vers l'écriture.
Je me sens juste faible, inexistant, facultatif. Presque un an, presque un an. Fallait s'y attendre qu'aux alentours du 31 aout la déprime resurgisse non ?
Où j'en suis ? Et cette envergure que je t'avais promis ? Ai-je pris mon envol ? Suis-je devenu aussi génial que tu l'étais ? Vais-je enfin te mériter ? Rien n'est moins sur. J'ai l'impression de tout recommencer à zéro.
Même joueur joue encore, et toujours.
écrit en août 2008, le 15
tagged: nathalie
aux grands rires les grands pleurs
C'est récurrent, c'est permanent. A chaque bonheur revient la tristesse. A chaque sourire revient le rappel du contexte de ces dix derniers mois passés. Est ce vraiment drôle compte tenu de la situation ? Est ce que Nathalie rirait à ça elle aussi ? Qu'est ce que je fous là...
"pourquoi tu m'aimes ?"
Cette fille est belle, sans artifices ou détournements. Ses traits, ses fossettes, ses grands yeux. Autant de choses qui sont naturellement belles chez elle. Mais maintenant je n'ai qu'une photo à embrasser.
Cette fille est mature, aussi bien dans ses actes que dans ses pensées. Elle me tirait vers le haut, mais maintenant j'avance tout seul dans la maturité, malgré moi.
Cette fille aime me masser, c'est un plaisir, une gourmandise. Maintenant j'ai un mal aux cervicales qui ne partira peut être jamais selon les médecins, et je suis seul à essayer d'atteindre mon dos là où ça fait mal.
Cette fille rit, elle rit toujours à mes blagues pourries. Jamais de ma vie je n'ai fait autant rire quelqu'un, on se marre vraiment. Maintenant je pleure comme un dépravé quand je suis seul.
Cette fille a les même passions que moi. Maintenant c'est seul que je m'adonne à la photo, à la musique, à l'informatique.
Elle sait ce qu'elle veut dans la vie, maintenant je n'arrive plus à projeter mon avenir plus loin que quelques jours, quelques semaines.
Elle est géniale au lit, on venait de faire l'amour avant l'accident, on en aura profité jusqu'au bout. Jamais son corps contre le mien ne sortira de ma tête.
Elle a du caractère, maintenant je me forge le mien entre les déprimes et crises d'angoisse.
Elle aime faire la fête, maintenant je suis incapable de sortir dans un contexte festif.
Elle joue de la guitare mieux que moi, maintenant ça fait plusieurs mois que j'apprends seul.
ce serait presque normal
Cette petite sieste l'un contre l'autre, les yeux mi-clos, la respiration profonde et bruyante. Ce serait presque normal, si la trachéotomie cliquetante n'apportait pas un rappel du contexte de la situation. Un rappel constant d'anormalité présent à chaque expiration, pour ne pas oublier l'état encore grave de la belle Nathalie.
Les petites caresses sur le visage, les doigts passant avec intensité et douceur dans ses cheveux, sa peau de bébé exempt de défauts anodins comme ceux causés par les doigts rongés. Elle veut de l'affection, mais elle souhaite aussi en donner, c'est propre à son caractère d'avant l'accident, c'est bon signe, elle n'a rien perdu. Alors elle me caresse aussi l'avant bras, me procurant l'affection dont je manque vitalement depuis maintenant neuf mois. Ce serait presque normal, si sa main n'était pas contracturée et qu'elle ne devait pas fournir un effort dont elle est la seule à ressentir le labeur.
Les mots doux au creux de l'oreille, accompagnés d'un bisou débordant d'amour et de sincérité délicatement posé sur la joue. Je t'aime. Elle me répond la même chose. Ce serait presque normal, ce serait presque la scène que tous les couples vivent des centaines de fois dans leur vie, si le bisou avait été déposé sur ses lèvres sans la crainte de lui transmettre trop de bactéries, et si son incapacité respiratoire causée par sa grande fatigue réeducative du matin ne l'obligeait pas à répondre en se montrant d'abord du doigt, puis en le pointant ensuite vers moi. C'est son je t'aime à elle.
des petites larmes
Une terrasse, du soleil, une grande avenue bruyante, une cigarette, les pieds sur la table de jardin. Les petites larmes sortent. Le genre de larmes qui ne coulent pas le long des joues mais qui restent engluées dans l'oeil, au creux de la paupière, rendant le regard brillant de tristesse, étincelant de douleur. Je m'imagine parler avec Marion, comme d'habitude. Je commence à me faire peur, pourquoi faut il toujours que je m'imagine avec quelqu'un ? Je ne me parle jamais à moi même, mais toujours à un proche supposé, un ami imaginé.
Tu sais marion c'est pas un petit épisode de ma vie tout ça, tous les jours je me léverai avec ça dans le coeur, et si c'est pas les premières pensées qui seront douloureuses au réveil, il suffira d'un miroir pour avoir les yeux qui se posent sur ces putains de cicatrices gigantesques, pour me rappeler, pour pas oublier la pire aventure de mon existence, que je n'ai partagé qu'avec toi et un cahier où j'écris ma déprime, sauf que le cahier, lui, sait tout.
nouvel aspect
le dessin, la pluie, le parapluie ; et à notre mariage il pleuvra, parce que c'est comme ça, et tu me diras
regarde nounours il pleut, tu vois mon chéri il pleut, t'avais raison sur le dessin, prends le parapluie, et protège moi, protège moi
et tu me le répéteras, encore et encore
écrit en avril 2008, le 17
tagged: nathalie
rester en retrait
Ma mère m'a caressé le dos aujourd'hui, ce soir. L'espace d'une trentaine de secondes, au milieu d'un repas plus ou moins festif, sa main allait et venait contre ma peau par dessus les vêtements.
En sept mois seulement quelques personnes m'ont prises dans leurs bras, comme ça, pour me serrer fort, me prendre un peu de mon mal par le contact pour me soulager. Ces personnes se comptent sur les doigts d'une main. Ma mère, ma sœur, et deux copines. Que des filles. Les femmes ont décidément quelque chose en plus de vivant en elles. Sept mois qu'à part avec ces filles les seuls contacts physiques que j'ai sont la poignée de main et la bise, politesse oblige.
Ce soir ma mère a fait bien plus que caresser nonchalamment le dos de son meurtri de fils. Sans le vouloir ni même le savoir elle a ravivé en lui la petite flamme du contact humain l'espace de quelques secondes. Cette flamme qui a tant de mal à brûler. C'est normal pour une mère de caresser son fils, mais putain une main dans le dos c'est rien, et pourtant ça m'a fait frissonner jusqu'aux mollets. Et encore je ne parle pas des souvenirs qui ont ressurgis.
Cette Nathalie aux mains si douces, dont elle rongeait les pouces.
Je suis en ruines, jusqu'au moindre coin de ma personne. Abimé, déchiré. Encore sous le choc le contact humain m'est difficile. Je n'ai pas fait le deuil de l'accident, de MON accident. Mais je ne suis pas le plus à plaindre c'est pourquoi je piétine parfois mes difficultés ; "Pas grave, pas important, on verra plus tard". Plus tard... quand tu rentreras chez toi ma chérie. Je ne suis pas jaloux, loin de là. Tu n'as pas eu de chance ma belle, c'est normal que les regards soient posés sur toi et tes progrès, le contraire me rendrait encore plus mal. Non, là au moins je peux pleurer à l'abri, réfugié dans ma solitude, incapable d'appeler qui que ce soit quand sortent les larmes.
Je m'en veux. J'ai honte d'avoir replongé la tête sous l'eau, en pleine noyade, alors que j'avais réussi à retrouver un peu d'air frais. J'ai honte de n'avancer qu'à petits pas, de ne faire pour toi que des choses ridicules. Un dessin par ci, une musique par là, parfois une vidéo ou un jeu de cartes. Putain tu mérites mieux. Tu mérites un mec avec de l'envergure, de la corpulence. Un mec capable de folies pour toi et non pas d'une simple balle bien logée, ce serait trop lâche, trop facile.
Je ne sais plus où trouver de la force. Trop de paramètres interviennent pour que l'équation de tout ce merdier se résolve. C'est d'ailleurs marrant comme tout peut se percevoir de manières différentes.
On pourrait croire de prime abord que je suis brave, que je n'ai besoin de personne pour affronter ce bordel. Je n'ai encore amené personne de ma famille te voir avec moi, ni même mes amis. Personne ne sait exactement ce que j'endure, ce qu'on endure, en collant des images sur les faits. Personne ne sait ce que j'ai vu pendant l'accident, là, par terre à gueuler comme un mort. Oui, de mon côté je suis seul. Il y a ta famille, tes amis. Et moi, seul derrière, en retrait.
Mais je ne me leurre pas. Je sais que ce n'est rien d'autre que de la lâcheté. Je n'ose pas imposer la vision d'une Nathalie abimée à mon entourage qui te connaissait bien portante. J'ai bien trop honte pour ça. Loin de moi l'idée de les protéger. Oh que non, c'est moi que je protège. J'ai bien trop peur qu'en te voyant ils se mettent à hurler :
"Putain Fred, comment t'as pu en arriver là... Tu fais chier merde, t'as vraiment déconné.
OUI FRED T'AS VRAIMENT DECONNE A VOULOIR DOUBLER CETTE VOITURE
TU POUVAIS PAS RESTER DERRIERE EN RETRAIT
TRANQUILLEMENT
HEIN ?"
écrit en avril 2008, le 13
tagged: réalité
les monologues du copain
"- Ça va pas Marion, ça va pas du tout. Tu te souviens ce que tu ressentais quand tu es venue pleurer dans ma voiture ce jour là ? Ce sentiment d'impuissance te permettant de projeter ton avenir aussi loin que l'extrémité d'un canon posé sur ta tempe. Tu vois ce dont je parle ? Bon et bien cela fait sept mois que ce sentiment précis ne me quitte jamais, tu comprends ? Sauf que contrairement à toi ça ne va pas aller mieux et tu sais pourquoi ? Parce que je ne suis pas entrain de te dire ça, ni à toi ni à personne. Je suis juste entrain d'écrire sur un bout de papier pour me souvenir et pouvoir l'écrire sur internet demain, anonymement. Parce que j'ai besoin de le dire, de le crier sans être entendu. Parce que je suis incapable de t'appeler en larmes.
Je nage dans la merde, seul."
l'enclos de l'accident
C'est au milieu de rien parfois, comme ça tu vois, ça flotte autour d'un morceau de guitare ou d'une publicité à la télé. Ça t'arrive en pleine poire sans que tu t'y attendes. Ça vient d'on ne sait trop où. Il doit y avoir une sorte de boite à souvenirs enfouie au fond, bien cachée entre les viscères, qu'il est impossible de déterrer mais qui s'ouvre parfois, laissant ainsi s'envoler vers l'écran de nos yeux un moment passé jusqu'alors oublié.
Le zoo du Lunaret, ce banc face à un champ vide, j'ai oublié pourquoi on s'était arrêté là. J'ai perdu l'essence de ce souvenir, et pourtant il est bien là. L'enclos des lions pas si loin, le chemin abrupt menant à ce petit coin retranché, les casques qu'on tenait à la main. Je crois qu'on s'était perdu, oui c'est surement pour ça qu'il fallait s'arrêter, se reposer, juste ne plus marcher, et s'enlacer.
Si j'avais su. Mon dieu si j'avais su qu'un lion de la route ne tarderait pas à nous dévorer malgré les casques pour nous protéger. On aurait couru. Ha ça oui, on aurait couru. Sans jamais regarder ce à quoi on réchappait, on ne serait jamais revenu.
le temps d'une cigarette sur le prado
Tu y crois toi ? Que le monde va continuer à tourner comme ça, pendant des siècles, des millénaires ?
Moi j'y crois pas. Pour moi le monde est comme une fraise de cigarette, en incandescence continuelle, alimentée par son propre contenu. On peut tirer dessus, pomper la moelle de son âme, la rendant ainsi plus rouge, plus chaude, plus vive. On la contrôle, on agit sur elle. Nous sommes deux entités différentes, et pourtant nous ne faisons qu'un lorsqu'il s'agit de se foutre la clope au bec. Elle dépend de nous, nous dépendons d'elle. Ainsi est fait le monde, c'en est ma conviction profonde.
Malheureusement arrêter est aussi simple, ne plus vouloir continuer, s'asphyxier, et écraser la fraise sur le rebord d'une fenêtre, refusant ainsi toute négociation.
écrit en février 2008, le 22
tagged: réalité
ils le savaient
Ils s'en doutaient. Tout le monde s'en doutait. Que ma première question à mon réveil serait sur l'état de Nathalie. "Elle dort toujours", qu'on me répondait.
Ils le savaient. De toute façon tout le monde le savait. Qu'une fois sorti de cet hôpital s'en suivrait une période inévitable de déprime et d'assombrissement. "Faut que tu vois quelqu'un", qu'on me conseillait.
Certains le craignent. Même moi je le crains. Que l'envie de me faire exploser la tête dépasse le stade d'envie. Il me semble pourtant tellement évident, parfois, que la douleur ne puisse partir que par la douleur.
ceci n'est pas un titre
Etoffons, étoffons. Quelques mots par ci, quelques mots par là. Un peu de ponctuation. Un zeste de vocabulaire et un soupçon de conjugaison. Le tout saupoudré de beaucoup de réflexion précédemment moulue. La recette de l'écriture n'a rien a envier à l'art culinaire, c'est un art à part entière. Et comme tout art qui se respecte, il y a des artistes ratés.
Le prémâché et prédigéré trouvera sa place dans le bordel, le potentiellement frissonnant dans les essais et le reste sera du works.